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Mon Journal : Entretien avec Pat Lesparre

Depuis plus d'un an, Patrice Lesparre illustre les couvertures de Capt'ain Swing. J'ai pensé que c'était peut-être le moment de mieux le connaître. Je lui ai donc posé quelques questions et il a eu la gentillesse d'y répondre :

Pat dédicaçant à Cluny (Photo D. Vallet)

On connait un peu Patrice Lesparre le dessinateur, parle-nous de Patrice Lesparre, l'être humain. Qu'est-ce qui t'a amené au dessin ? Quelles sont tes autres centres d'intérêts ?
C'est le fait de lire des bd qui m'a naturellement amené au dessin. Dès que j'ai en gros maîtrisé la lecture, vers l'âge de 6 ans, j'en ai consommé des tas, essentiellement des pf et Pif gadget. J'ai très vite commencé à les collectionner avec passion, et c'est encore le cas aujourd'hui. Comme beaucoup de gosses, je recopiais des séquences de ces illustrés. Je n'ai jamais totalement arrêté par la suite de dessiner, mais en dilettante, jusqu'en 2000. Je ne crois pas être un pur dessinateur, bien que j'ai toujours aimé dessiner. Un dessineux invétéré gratte sans arrêt, ça n'a jamais été mon cas jusqu'à ma rencontre avec Semic, en 1999. C'est seulement à partir de ce moment-là que j'ai dessiné régulièrement. Ce qui me fait kiffer, c'est de créer des univers fictionnels, de raconter des histoires, dans un support bd autant que possible. Je n'imagine pas vivre sans ça. Mais dessiner n'est pas obligatoirement mon seul objectif. Après avoir quitté l'école, sans gloire ni diplôme pour cause d'égarement dans les travers habituels du milieu punk, j'ai été animateur radio, puis créatif en agence de pub. Finalement, en 1992, je me suis mis à mon compte en tant qu'illustrateur. Ma seule autre passion est la musique rock en général, punk en particulier. Cela tient une grande place dans ma vie depuis l'adolescence, en tant que spectateur et acteur. Avec le temps, par ailleurs, je me découvre un intérêt plus vif pour le cinéma, du côté de la mise en scène.

On t'a découvert avec la saga de Dharkold dans Sp. Zembla. Peux-tu nous dire si tu avais fait autre chose avant ?
Non, je n'avais jamais rien publié en "pro". Juste des taffs locaux pas toujours en rapport avec la bd, et deux épisodes chez une asso comics nommée Sugar Studio. Avant de commencer à bosser avec Semic, je me croyais naïvement plutôt bon dessinateur. Lorsque j'ai vu mes premiers travaux publiés en petit format, j'ai réalisé, un peu horrifié, que je n'étais même pas "moyen". La réduction, assassine pour les défauts, et la comparaison avec certaines autres productions voisines, très pro, elles, tout cela m'a vite remis les pieds sur terre. Merci, au passage, à Thierry Mornet qui a misé sur Dharkold malgré les carences graphiques de la série. J'ai pu ainsi participer à la belle aventure Semic, me faire les dents pour arriver jusqu'à aujourd'hui... Et donner vie à ma première création perso en 2000.

Dharkold a été interrompu par la fin des pockets Sémic. A-t-on une chance d'en lire la suite un jour ? As-tu des projets là-dessus ?
J'espère effectivement pouvoir reprendre la série à un moment donné. J'y ai mis beaucoup de mon univers personnel. La saga du Chevalier Sombre offre d'immenses possibilités fictionnelles, ainsi qu'un univers dramatique très varié, au riche potentiel, le tout s'étalant sur quelques 1500 années. Pour l'instant, je n'ai pas de projet de relance concret, essentiellement à cause d'un manque de temps. Mais je reste très attaché à la série, je souhaite donc vraiment pouvoir convaincre un éditeur dans l'avenir. On verra bien...

La couverture de son album Dharkold chez Sémic

Tu viens de publier le 1er épisode de Quentin le Seul dans Pif Gadget, peux-tu nous raconter la genèse de ce perso et de sa parution dans Pif ?
Quand j'ai eu confirmation de la relance de Pif, début 2004, j'ai contacté Corte, que je connaissais déjà de la période "Semic Team". Les pf Semic venaient de s'arrêter, je n'avais plus aucun engagement dans le milieu pro BD. En avril 2004, j'ai proposé mes services, plutôt en tant que scénariste. Il m'a demandé de plancher sur une dizaine de concepts de séries, western, fantastique, polar, médiéval, comique... Le tout dans l'esprit positif et progressiste de l'ancien Pif. C'est finalement le projet médiéval qui a été retenu, fin septembre 2004. Au départ, Quentin est donc un concept parmi d'autres, le tout visant à proposer un éventail de créneaux le plus complet possible. Ceci dit, je m'attache facilement à mes persos, pour peu que je commence à les animer, et Quentin est vite devenu pour moi bien plus qu'une proposition parmi d'autres. Au début, je pensais qu'il serait dessiné par quelqu'un d'autre, mais Corte m'a proposé de m'en charger moi-même. J'ai donc fait des essais, et ils ont été acceptés, avec quelques corrections à la clé. Là encore, un grand merci, car dessiner personnellement la série m'a prouvé que je pouvais encore progresser sur le plan graphique. De ma propre initiative, je ne me serai pas lancé dans l'aventure. Le projet a pris un peu de retard, au fil des mois, et le premier épisode ne sort finalement que ce mois-ci.

Cette série est-elle planifiée avec une fin ou est-ce une saga illimitée ?
En général, quand je créé une série, je la pense sur une longue durée. Le record en la matière revient à Dharkold, pour lequel j'avais un conducteur divisé en 6 arcs, le tout s'échelonnant jusqu'en 2020, en gros. Au rythme de parution et de pagination de Spé Zembla, bien sûr. C'est vrai que c'est un cas un peu particulier, étant lié au fait que la série se déroule sur 1500 ans. Mais sans aller aussi loin, Quentin n'échappe pas à ma règle habituelle. Si la série rencontre son public et n'est pas désavouée par la rédaction, je n'envisage pas de limite précise dans le temps.

Quentin le Seul mêle habilement une histoire médiévale et des préoccupations sociales, est-ce ta série la plus aboutie ?

Une planche de Quentin le seul paru dans Pif Gadget

Graphiquement parlant, oui, sans aucun doute, bien que mon trait soit encore très perfectible. Je suis néanmoins assez content de mes mises en pages, pour l'instant. Sur le plan du concept, Dharkold reste à ce jour ma création la plus aboutie, pour les raisons évoquées plus haut. Le thème central de Quentin se prête peu à la création de personnages secondaires récurrents, puisqu'il est un chevalier d'aventures cheminant au hasard des routes, au gré des rencontres. Cela ne m'empêchera pas, si tout va bien, de faire vivre la série avec grand enthousiasme et pour le plaisir des lecteurs, j'espère. Simplement, je privilégierai le côté reportage/témoignage et la psychologie du héros, davantage que la mise en place d'un univers/contexte permanent et fouillé. J'ai déjà beaucoup d'idées pour de futurs épisodes, et je suis très excité à l'idée de pouvoir faire évoluer ce jeune idéaliste dans l'univers hostile et rude de la guerre de Cent Ans. L'époque médiévale me fascine depuis tout gosse. Avec Dharkold, c'était du fantastique, avec Quentin, c'est de l'historique. Une excellente occasion d'explorer cette période de notre histoire, en m'appuyant sur des évènements précis, au besoin, comme dans l'épisode 1. Quentin est bien sûr un personnage hors norme, que l'on qualifiera de "très en avance" sur son temps. Un jeune chevalier prônant la justice sociale au coeur du 14ème siècle, ça ne devait pas se voir tous les jours! Mais il en va de même pour tous les héros de papier évoluant dans un passé lointain... Et cela ne gêne pas les lecteurs, en principe. Si l'élément social est mis en avant dans la série, c'est d'abord vis-à-vis du journal accueillant ma nouvelle création. Quand il a été question de créer de nouvelles séries dans la continuité de l'esprit Pif, ce ton s'est imposé d'emblée. D'autant plus facilement qu'en tant qu'individu je partage ces préoccupations. J'ai lu sur le forum Pif les propos argumentés d'un internaute qui trouvait cela un peu gavant, car systématique dans les séries réalistes. Je ne pense pas qu'une unité de ton soit gênante pour le journal. Après tout, c'est la griffe Pif. En revanche, il faut eviter les lourdeurs ou maladresses, c'est certain. Comme tous les auteurs sont partis dans le même sens, on peut pour l'instant retrouver parfois des similitudes de dialogues, entre Quentin, Trelawney, et d'autres. Mais cela s'estompera rapidement, au fur et à mesure que les séries trouveront leur identité propre. Pour ma part, un doigt de pessimisme naturel viendra probablement particulariser mon propos assez vite, si la série peut s'installer.

Je sais que tu "sévis" dans un groupe plus ou moins punk, peux-tu nous en dire plus sur le sujet ? Où peut-on te voir en concert ?
Tu es bien renseigné! (NDR : J'ai de bons indics !) Le groupe se nomme Porno Kino, et existe depuis... 23 ans. Moi et deux autres l'avons fondé lorsque nous étions encore ados. A part la radio et la pub, c'est en gros tout ce que j'ai fait avant de passer illustrateur en 92. A l'heure actuelle, je suis le dernier fondateur encore en activité. Le groupe tourne à 4 en ce moment, basse, guitare, batterie et chant. Moi, je suis chanteur/parolier, depuis l'origine. Il y a 12 ans environ que je compose aussi les musiques. Nous jouons ce qu'il est convenu d'appeller du "street-punk", en référence à de vieux groupes anglais des années 80, comme GBH ou U.K. Subs. Au-delà des étiquettes, nous faisons de la zique urbaine, agressive, avec une batterie au tempo très rapide, des grattes très saturées, et une voix qui chante très fort sur des textes pessimistes (on y revient), engagés... Ou parfois très provocs. C'est un peu bizarre, car lorsqu'on me connait, on me trouve généralement plutôt très sociable et convivial. On pourrait donc s'étonner de me trouver dans ce secteur musical. Ce doit être mon côté schizo hé hé. Blague à part, c'est très utile pour se défouler, la bd étant un métier de solitude et d'immobilité. Nous faisons des concerts en pointillés, car aucun de nous n'est officiellement musicien pro. Si dans la première décennie je me consacrais largement au groupe, depuis que je dessine régulièrement, j'ai moins de temps. Les journées n'ont que 24 heures, hélas. Nous tournons donc quand on nous sollicite, plus que de notre propre initiative. Là, on a fait un concert à Cestas le 30 Avril, et début Juillet, nous jouerons dans les Landes. Peut-être en Espagne, en Août. Mais il est difficile de donner un rendez-vous précis, car cela se fait toujours sans planification avancée. L'endroit de France ou nous jouons le plus régulièrement est bordeaux, où se trouve notre public le plus ancien et fidèle, composé de punks et de red skins (skins d'extrême-gauche). c'est encore là qu'on a le plus de chance de nous apercevoir, au détour d'un festival punk. Et puis, pour les amateurs, il reste nos deux cd auto-produits, sortis en 1997 et 2003, "Les années noires" et "On a marché sur ta gueule". J'espère que nous pourrons en enregistrer un nouveau en 2006.

Tu dessines les couvertures de Cap'tain Swing depuis plusieurs mois maintenant. Quels étaient tes rapports avec ce personnage en particulier et les PF en général ?
Pour les pf, j'ai répondu en partie dans la première question. Mis à part Pif que j'ai suivi durant des années, quelques Tintin et Astérix, je n'ai lu que des 13/18 durant toute mon enfance. Je n'étais vraiment fan que de deux éditeurs : Lug et Mon Journal (même s'il m'est arrivé d'apprécier des "Oliver" de chez Impéria, ou autre "Kébir"). Actuellement, j'ai dans ma collection des pièces rares comme Akim 3, 4, 5, Rodéo 47, de premiers Hondo, Pipo, etc... A l'âge de 11 ans, j'ai découvert les comics avec Strange. Depuis, je les ai tous récupérés, ainsi que Fantask, Marvel, et les albums Lug super-héros. Cette nouvelle passion m'a fait rapidement découvrir les pockets Arédit, et j'ai donc pu ajouter un autre éditeur à ma passion des pf. Le problème, c'est que j'ai vendu une bonne partie de ma collection Arédit en déménageant un temps à Perpignan. Depuis, je récupère petit à petit les titres manquants. Heureusement, sur le forum de Pimpf, il ne manque pas de bonnes occases à faire auprès de mecs sympas et réglos. Depuis que je suis connecté et que j'ai découvert le "Marché", j'ai trouvé déjà pas mal d'Arédit me manquant. Cool! Chez Mon Journal, mes titres préférés étant gosse étaient Ivanhoé, Lancelot... Et Swing. J'aimais aussi beaucoup Puma Noir, qui sortait en complément de la série-titre dans ces années-là. Tu imagines donc ma plaisir lorsque j'ai eu l'occasion d'illustrer les nouvelles couvertures de notre capitaine rebelle préféré. Avec les couvs de Juin à Août 2005 que vient de me commander MJ, j'aurais illustré 12 couvs d'affilée. Plus que je n'aurais espéré!. Avec Pif Gadget et Lug, Mon Journal était la boîte qui me faisait rêver étant enfant. Comme ça, je suis passé de l'autre côté du miroir, et ai pu apporter ma modeste pierre à l'édifice éternel des trois pourvoyeurs de bonheur de mon enfance. C'est pas si courant, et, crois-moi, je savoure!

Crayonné d'une couverture de Capt'ain Swing

As-tu d'autres projets à plus ou moins longs termes ?
Oui, bien sûr. Depuis Avril, j'ai commencé une collaboration avec Warner, édité en France par Cyberpress, en tant que scénariste/dialoguiste sur des pages de gags. C'est Cyril Bouquet (qui avait déjà illustré un court récit de Dharkold) qui signe les dessins. Nous espérons pouvoir intensifier nos productions chez eux. Sinon, je compte proposer bientôt une 2ème série réaliste à Pif, et peut-être une série comique. Et puis, Dharkold, dès que l'opportunité se présentera. J'aimerais également développer les deux autres segments de mon triptyque consacré à la mythologie celtique, Dharkold étant le premier, généralement situé dans le passé. Les deux autres se déroulent, pour l'un dans le présent, pour l'autre dans l'avenir. Mais tout cela, ça fait beaucoup d'énergie à déployer. Si j'arrive déjà à installer durablement Quentin et à faire revivre Dharkold, je m'estimerai amplement satisfait. Et puis bien sûr, j'espère pouvoir continuer à réaliser des couvertures pour Swing encore longtemps, même par intermittence. Merci de m'avoir proposé cette interview, Dom! Encore bravo pour ta ténacité, et longue vie à Pimpf, véritable bible des pf, que ce soit sur papier ou en ligne.
Bonne route à tous!

Entretien réalisé par Dominik Vallet via internet le 1er juin 2005.


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